Entretien avec Antoine Joint, client Hast et directeur chez Utopies®

Entretien avec Antoine Joint, client Hast et directeur chez Utopies®

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À l’heure où les enjeux climatiques imprègnent de plus en plus les politiques générales d’un pays à l’autre, les marques s’appliquent à repenser avec force leurs processus. C’est le cas de Hast. Ces enjeux sont nos priorités. Afin d’améliorer notre impact sur l’environnement, nous avons récemment collaboré avec l’agence française Utopies© dont les études permettent de développer des stratégies environnementales sur mesure. Avant de vous révéler le contenu précis des travaux réalisés avec Utopies dans un prochain post, Antoine, directeur conseil de l’agence, s’est confié à notre journal.

 

 

 

 

 

L’agence Utopies est affilée à la communauté B Corp depuis 2014. Qu’est-ce que cela signifie précisément ?

 

B Corp est à la fois une communauté, un label et une référence lancé par des Américains qui permet de certifier clairement les impacts sociaux et écologiques d’une entreprise. Plus concrètement, il s’agit d’un questionnaire exigeant, complet qui comporte deux cents questions afin d’analyser les effets qu’une entreprise a sur ce qui l’entoure. Il s’agit de savoir si le business d’une entreprise est par essence positif ou non. En fin de compte, cela permet d’aider les entreprises à orienter leurs activités de telle manière qu’elles puissent justement faire le bien autour d’elles en quelque sorte. Faire du business n’est pas un gros mot. On peut le faire bien.

 

L’industrie textile est-elle considérée comme polluante ?

 

L’industrie textile est le quatrième secteur le plus polluant au monde. C’est d’abord une affaire de composants. Pour fabriquer du vêtement, on utilise des matières premières qui sont extrêmement polluantes. Ce sont des matières qui sont d’origine animale, comme le cuir ou la laine. Il y a toujours des marques qui sont surprises de constater qu’elles polluent parce que leurs produits contiennent ce genre de matière alors que d’habitude on pense plutôt qu’il s’agit là de quelque chose de noble. Si l’on se concentre un instant sur la laine, c’est une matière polluante parce que l’élevage de moutons à grande échelle est une activité qui pollue. La transformation de la matière est aussi polluante. Quand on tisse la laine, quand on tanne le cuir, quand on délave du tissu, on consomme énormément d’énergie, d’électricité et d’eau. D’après une étude de l’agence Quantis, la teinture représente 64 % des émissions de Co2 qu’implique la production d’un t-shirt. Dans un troisième temps, une marque qui organise le transport de ses collections en avion n’a pas, de fait, un impact très positif sur l’environnement. Certaines marques peuvent avoir 20 % de leurs émissions de gaz à effet de serre qui sont liées au fait qu’elles intègrent beaucoup l’avion dans leurs activités, parce qu’il y a toujours des nouveaux prototypes, de nouvelles collections à transporter, mais aussi des retards sur la chaîne de production qui nécessitent de livrer d’un coup, plus rapidement, les magasins, grâce à l’avion. Dans ces cas-là, le transport est un moment très polluant du travail d’une marque. L’avion est un souci dont les gens ont de plus en plus conscience. Ce n’est pas toujours simple d’arrêter la logistique en avion, mais cela reste plus simple de faire ça que de se mettre à fabriquer un produit avec du cuir vegan ou n’importe quel tissu recyclé.

 

 

 

Dans le cadre d’une stratégie visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’une marque de mode, existe-t-il des problématiques surprenantes ?

 

La relocalisation des activités de production n’est pas forcément synonyme d’amélioration d’un bilan carbone, par exemple. Si on déplace une usine de textile située à Taiwan vers la Pologne, il faut faire attention. En Pologne, la consommation d’électricité sera très charbonnée et il y aura donc beaucoup d’émissions de carbone. Et puis, pour amener le produit de Pologne en France, on ne pourra pas prendre le bateau : il faudra utiliser l’avion ou le transport routier et beaucoup plus que s’il s’agissait seulement de faire rouler des camions depuis le port du Havre, par exemple. Mais si un jour on institue une véritable taxe carbone aux frontières de l’Union Européenne, ce sera peut-être plus intéressant financièrement de se réinstaller en Pologne, oui.

 

 

 

Quel résumé pouvez-vous nous faire du travail d’étude que vous avez réalisé pour Hast ?

 

Nous avons réussi à collecter des données pour chaque type de produit, de la chemise formelle à la chemise classique. Pour chaque produit, nous avons répertorié le type de tissu et le métrage de tissu nécessaire à sa fabrication. On a voulu savoir s’il s’agissait de lin, de coton, de coton bio. On a pris en compte ce que cela implique en termes de production, avec la filature et la manufacture, mais aussi en termes de distribution vers les sites de stockage puis de vente. On s’est intéressé au lavage et au repassage de chaque produit, également. Jusqu’à la fin de leur vie, quand il ne s’agit plus que d’un déchet. On peut ainsi conclure que Hast produit, par exemple, 178 tonnes de Co2 par collection. On sait également comment ce chiffre se répartit selon les produits. On entre vraiment dans le détail. Pour la production d’une chemise formelle, par exemple, on sait qu’il y a 10 kilos de Co2 rejetés dans l’air. Sur ces 10 kilos, 6,3 proviennent de la confection en usine et 3,6 viennent de l’utilisation des matières premières On sait que les chemises qui sont 100 % coton ont un poids de 13 kilos de Co2. 11 kilos pour celle qui est 90 % coton et 10 % lin. On sait aussi que les chaussettes et les caleçons ont un impact plus important sur l’environnement que les autres pièces parce que ce sont là des produits que l’on lave et que l’on relave. Dans cette enquête, quelque chose m’a surpris: je ne m’attendais pas à ce que l’utilisation du lin bio permette de réduire autant les émissions de gaz à effet de serre par rapport au coton. La production du lin nécessite moins d’eau que celle du coton, il y a donc moins de traitements dans l’agriculture. Et puis c’est une matière plus légère - le poids est un facteur qui compte dans le calcul des émissions. Mais il nous reste un problème à résoudre : dans l’industrie textile, on a encore du mal à identifier précisément l’origine des matières premières classiques. On ne sait pas précisément d’où vient le coton. Beaucoup de marques achètent leur tissu à des vendeurs en gros qui, eux, l’achètent sur des marchés où l’on agglomère du tissu qui vient d’un peu partout dans le monde, avec tout un tas d’intermédiaires. Impossible de savoir d’où vient tout ça. Pour pouvoir tracer au mieux l’origine des matières, certaines maisons de luxe intègrent toute la chaîne: elles achètent des champs de coton, elles développent des partenariats avec des producteurs précis. Mais il n’y a que les grands acteurs du marché qui sont capables de faire ça.

 

 

Quels sont les principaux leviers qu’il faut activer afin d’améliorer sa stratégie carbone ?

 

Pour certaines marques, réduire le bilan carbone signifie tout bonnement trouver une alternative au tissu principal de leur collection. Pour une marque de chaussures, par exemple, il s’agit d’utiliser autre chose que du cuir et, évidemment, ce n’est pas si simple. On peut revoir sa chaîne logistique, prendre moins l’avion, mais il faudra aussi faire un effort en recherches et développements pour tester de nouveaux matériaux, comme du cuir végétal. C’est quelque chose qui prend du temps. C’est une vraie difficulté pour certaines marques. Dans le cas de Hast, pour développer une offre moins carbonée, il va falloir identifier des fournisseurs qui vont proposer des tissus bios et recyclés. Mais cela va coûter de plus en plus cher parce que ce sont des produits très demandés. Il va y avoir une tension sur l’approvisionnement. À un niveau plus simple, on peut aussi mettre en place des contrats avec des fournisseurs d’électricité renouvelable pour les entrepôts logistiques. C’est déjà un premier pas pour réduire son bilan carbone.

 

 

 

La neutralité carbone est-elle atteignable dans la mode ?

Le problème du climat est d’abord un problème énergétique. Lorsque la Chine s’engage à atteindre la neutralité carbone en 2050, ce n’est pas anodin du tout. Les Chinois veulent fermer les centrales à charbon pour les remplacer par de l’hydraulique ou du nucléaire. Du coup, les fournisseurs ds marques françaises qui travaillent en Chine vont forcément être moins carbonés. Et le bilan carbone de ces marques baissera illico. Celles-ci vont bénéficier d’initiatives qu’elles ne pourraient pas mettre en place toutes seules. C’est compliqué de changer le mix énergétique chinois quand on est une petite marque. Si cela arrive vraiment, ce serait un pas extrêmement positif. Je ne pense pas que l’on pourra atteindre de sitôt la neutralité carbone, mais je suis plutôt optimiste pour l’avenir. On consomme de plus en plus de produits de seconde main, on achète de mieux en mieux, les usages changent.