Rencontre avec Viviane Lipskier, experte des DNVB

Rencontre avec Viviane Lipskier, experte des DNVB

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Dans son genre, Viviane Lipskier est une papesse. Diplômée de la célèbre école du Louvre, à Paris, cette observatrice de signaux faibles est la première en France à avoir saisi et théorisé l’importance des labels de vêtements pour lesquelles Internet est une rampe de lancement et aussi la courroie d’un esprit portés par des valeurs. Les fameuses DNVB, comme il faut dire en Amérique - Hast en est une, par exemple. Celle qui s’occupe aujourd’hui de conseiller des marques, pour le compte de sa "fabrique à DNVB", en a même tiré un livre publié en 2018 "DNVB : Les surdoués du commerce digital". Dans cette époque "covidée", où l’achat de fringues en ligne et l’appétence pour une forme d’éthique sont des choses qui comptent toujours plus, il fallait bien faire le point avec l’autrice.

 

Que veut dire Digital Native Vertical Brand ?

On a tendance à confondre des marques qui se lancent avec un site Internet et un compte Instagram, qui ne sont rien d’autre que des marques modernes, des sortes d’Insta-brands, et les véritables DNVB qui, derrière leur activité, ont un modèle. Une DNVB, c’est une start-up technologique qui, au lieu de proposer un produit dématérialisé, développe un bien de consommation physique, comme du vêtement par exemple. Les DNVB sont nées en ligne. Elles n’ont pas de boutique pour commencer, pas de showroom. Elles font l’essentiel de leurs ventes en ligne, sur leur site, mais aussi partout ailleurs sur Internet, et c’est là aussi, surtout, qu’elles vont exprimer leur mission de marque et construire leur communauté. L’idée est de déployer un esprit.

 

 

Dans quel contexte ces marques sont-elles apparues ?

C’est un modèle qui est né dans la Silicon Valley, évidemment, après la vague des premières boîtes Internet, au début des années 2000. C’était une époque où il était facile d’être référencé sur les moteurs de recherche parce qu’il y avait peu de sites, mais où Internet était lent. Ça ramait ! Et il fallait construire sa plateforme de vente soi-même. Il n’y avait pas encore de logiciel disponible clé en main. Pour ces marques, il s’agissait d’investir dans des pans de l’économie qui étaient alors délaissés par les grands groupes de biens de consommation ou dans lequel, un seul acteur régnait, comme c’était le cas sur le marché de la lunette ou un acteur principal avait établi un monopole mondial, produisant l’essentiel des verres et montures lifestyle.


Les DNVB, elles, collectent en ligne un certain nombre d’informations auprès de leurs clients afin de produire en petites quantités, au bon prix, sans promotion, pour ne rien gâcher.

 

Les DNVB sont arrivés en faisant valoir aussi que l’expérience des clients en boutique n’avait plus grande chose d’intéressant. Pour peu que l’on ait une silhouette hors des tailles habituelles, trouver un pantalon qui fit parfaitement pouvait s’avérer compliquer. Et les vendeurs, eux, étaient plus là pour replier les vêtements essayés que pour conseiller le client (en particulier dans l'univers de la fast fashion). C’est en 2007 que le fondateur d’une des premières DNVB, celui qui a inventé l’acronyme d’ailleurs, a imaginé de créer une startup qui vendrait en ligne des pantalons parfaitement ajustés à la silhouette de chacun, grâce à l’utilisation d’un algorithme et de data, pour multiplier les combinaisons possibles et ainsi satisfaire tout le monde. C’était comme un magasin virtuel géant, qui était impossible à reproduire en vrai.

 

Vous dîtes que les DNVB sont attachées à une éthique…

C’est un modèle qui permet de contrôler la chaîne de valeur, de rendre le système le plus transparent possible et de pouvoir le prouver. Tout ça pour, en fin de compte, faire en sorte de vendre à un prix plus juste la bonne quantité. Ce dernier élément est central dans la façon dont les DNVB évoluent. Dans le système classique, les marques produisent beaucoup trop, font trop consommer de vêtements dont les gens n’ont pas besoin ni envie, et se retrouvent avec du stock en trop, qu’il faudra ensuite vider à coups de soldes, ou bien détruire. Les DNVB, elles, collectent en ligne un certain nombre d’informations auprès de leurs clients afin de produire en petites quantités, au bon prix, sans promotion, pour ne rien gâcher.

 

 

Quel est le rapport à l’environnement de ces marques, dans le prêt-à-porter ?

Les DNVB ont le luxe de pouvoir choisir leur fournisseur en matériaux bruts, en s’assurant de tous les critères environnementaux et sociaux possibles, qu’il s’agisse de la qualité du tissu, de l’endroit où le coton a poussé en premier lieu, de la quantité d’eau utilisée pour faire pousser ce coton, de la paie de ceux qui l’ont cueilli. C’est une marque américaine qui a lancé ce mouvement en 2010, en expliquant que la mode ne devait plus être un milieu opaque. Les gens de là-bas ont décidé de produire à la demande en s’appuyant sur des algorithmes. Des analystes se sont mis à prévoir quelles pièces marcheraient le mieux afin de produire du vêtement le plus justement possible, sans déperdition. Dans le même temps, il s’agissait de jouer la carte de la transparence la plus totale en décomposant le prix de chaque pièce pour le client, afin que celui-ci comprennent parfaitement ce qu’il achetait et dépensait. C’est devenu un vrai modèle aujourd’hui, dans le monde du prêt-à-porter. Cela permet aujourd’hui aux gens d’avoir confiance dans les enseignes chez lesquelles ils achètent.

 

L’idée du magasin physique est-elle obsolète ?

Le mauvais business physique est obsolète. Les magasins de marques standards où il ne se passe absolument rien, où l’on essaye, on achète, et on s’en va presque en s’excusant d’être passé, ça ne marche plus. Il n’y a pas de vie dans ces endroits, pas d’aventure. On croule sous les fringues, les vendeurs ne sont là que pour vendre un produit afin de remplir le caddie du client.


Cela permet aujourd’hui aux gens d’avoir confiance dans les enseignes chez lesquelles ils achètent.

 

Aujourd’hui, un magasin se doit d’être unique en son genre, c’est la nouvelle règle du jeu. Cela peut-être ce que l’on appelle une « boutique de destination », c’est à dire une sorte de lieu dans lequel le trafic est limité pour préserver une certaine intimité; chaque pièce que l’on veut essayer est spécialement sortie du stock. Pour certaines de ces boutiques, il faut parfois prendre rendez-vous. On est reçu par quelqu’un qui est plus un guide qu’un vendeur, qui est aux petits soins avec le client, qui le conseille et lui propose même, à la fin, de lui livrer les vêtements chez lui pour qu’il ne soit pas encombré pendant le reste de sa journée. Le magasin reste important parce qu’une grande partie de la population aime encore acheter ses vêtements de cette manière. Les gens ont besoin d’aller voir, de toucher, avant de dépenser. Ce qui compte, c’est le lien social que cela traduit.