La pandémie et le secteur textile, rencontre avec Toni de chez Albini

La pandémie et le secteur textile, rencontre avec Toni de chez Albini

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Depuis ses débuts, Hast a noué une belle et solide relation avec Albini, une historique maison italienne spécialisée dans la confection de tissus. C’est avec les tissus de chez Albini qu’est faite une partie des chemises présentées dans nos collections successives.

Fondée en 1876, Albini et ses différents ateliers sont installés aux environs de la bien nommée Albino, une petite ville de Lombardie, nichée dans une cuvette, là où les Alpes font voir leurs derniers sommets. Depuis les balcons, on peut ainsi admirer une majestueuse ceinture montagneuse, tenant la garde, silencieuse. À Albino, les maisons ont les murs pastel et on compte autant de cafés que de couvents en vieilles pierres et aux rebords dorés à l’intérieur desquels on célèbre de jolies madones.

En plus d’autres sites installés dans le sud de l’Italie mais aussi à l’étranger, l’entreprise Albini gère ici ses activités de filature, de finitions, ainsi que l’inspection de ses produits finis, qui sont en coton, mais aussi en lin et en lyocell, une nouvelle fibre faite à partir d'eucalyptus. Au total, Albini produit quelques quatorze millions de mètres de tissus chaque année. Nous avions filmé les coulisses de cette manufacture afin de vous la présenter en détail en 2017 : Voir la vidéo.

Mais depuis plusieurs jours maintenant, dans ces endroits où d’habitude les machines tirent le fil et font tourner à toute vitesse les bobines dans un vacarme heureux, on ne trouve plus que du silence ou presque.

Le Coronavirus est passé par là et a obligé à tout arrêter, tout fermer. Confinement oblige. Il faut dire que Albino se situe non loin de l’épicentre italien du virus. La ville a même fait les gros titres après que des soldats de l’armée russe fichus dans des combinaisons qui pourraient être des scaphandres ait été appelés à la rescousse afin de désinfecter de fond en comble une maison de retraite où 35 personnes sont mortes après avoir été infectées par le virus. Il y a quelques jours, nous avons joint par téléphone Toni, le représentant en France de la maison Albini pour que celui-ci nous explique les différentes conséquences de la crise sur les affaires et les ambitions de l'entreprise.

Comment Albini a-t-elle géré les nécessités de confinement imposées par l’apparition du Coronavirus ?

Ici, le confinement s’est déroulé en deux phases. D’abord, comme en France désormais, les lieux de vie, les restaurants et les commerces en tous genres ont été fermés. À ce moment-là, les industries considérées comme « non essentielles », dont nous faisons partie, pouvaient encore travailler, du moment qu’elles respectaient les normes de sécurité en vigueur, de la distanciation aux masques pour chaque employé. Du côté d’Albini, les équipes dédiées au contrôle qualité des tissus ont donc continué leurs activités, par exemple. Cela dit, alors que d’ordinaire ce sont trois équipes qui se relaient, il n’y en avait là plus qu’une seule, celle du matin. Pendant que tous les effectifs marketing, eux, étaient en télétravail.


Il faut penser des tissus qui en plus d’être beaux, peuvent protéger. De ce point de vue, c’est un moment révolutionnaire. La crise doit être une remise en question totale de notre industrie.

Depuis le 26 mars, nous sommes donc dans la deuxième phase de lutte contre le Covid-19 : l’Italie a imposé un confinement général et tous nos sites sont fermés. La seule chose qu’il est possible de faire aujourd’hui pour Albini, c’est de livrer les produits finis qu’elles avaient sur son carnet de commande. On peut procéder à la découpe des tissus pour les empaqueter et les faire partir. Il est également possible d’assurer la bonne réception des matériaux déjà commandés par nos soins. Mais c’est tout. Les machines de finitions sont aujourd’hui aux arrêts, il n’y a plus de test ni de contrôle pour rien.

Quels sont, de fait, les conséquences économiques liées à cet arrêt soudain ?

Aujourd’hui, plus rien ne sort des magasins. Pour être franc, nous ne sommes pas encore dans le dur. Nous sommes seulement au début d’une descente et on ne sait pas quand tout ça va finir. Aussi, nous essayons de nous raccrocher à ce que l’on peut. Il y a quelques jours, une information de Chine nous est parvenue : là-bas, pour son premier jour de réouverture après le confinement, un magasin Hermès a cumulé plus de 2,5 millions d’euros de vente. En une journée ! C’est une chose qui laisse un peu rêveur.

En Europe, peut-être y aura-t-il quelques achats dits « de revanche » dans la foulée du déconfinement. On aura envie de consommer pour compenser tout ce que l’on n’aura pas pu faire avant, pour consacrer le retour à la liberté, comme au début des soldes. Mais cela ne durera pas, ce sera une vague qui retombera rapidement.

Tout simplement parce que l’on sera alors confronté à d’important soucis économiques. Certains auront vu leurs salaires baisser du fait de la crise, d’autres n’auront plus de travail. Il y aura alors autre chose à faire que de consommer des vêtements à tort et à travers. Il faudra sans doute appliquer la philosophie du moins mais mieux, durablement.

La maison Albini a-t-elle pensé à se réinventer, à la manière de toutes ces entreprises de confection textile qui se sont mises à produire des masques en série pour le personnel soignant ?

Au début de la crise, l’entreprise a fait l’objet de requêtes, dont plusieurs émanaient de clients français, afin de savoir s’il était possible de produire du tissu dans le but de fabriquer des masques pour les soignants. À cette époque, nous n'avions à disposition que de la popeline, avec des mailles plus ou moins serrées, ce qui n’était pas toujours idéal pour faire des masques vraiment efficaces, qui puissent faire barrière au niveau médical, mais surement utiles pour le grand public.

Ce sont des initiatives que nous allons poursuivre et améliorer avec le temps, et en cette période encore plus, on espère que cela va inspirer les autres ateliers, clients et consommateurs !

Nous avons fait quelques livraisons de tissus qui nous paraissaient être de bonne facture pour des entreprises qui, d’habitude, sont des sous-traitants du monde du luxe.

Dernièrement, on a beaucoup parlé du lien qui existe entre la pandémie actuelle et l’environnement. Quid de la dimension environnementale chez Albini ?

Ces dernières années, il a beaucoup été question de l’utilisation de fibres organiques. Ces derniers ont l'avantage, évident, d'avoir un impact moins agressif sur la planète. Nous avons choisi d’utiliser du coton américain car sa production est encadrée par un système de traçabilité infalsifiable, sous forme d’empreinte ADN. Une fois le produit fini, tissé, teint, cousu, il est possible de retrouver l’origine précise du coton, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des textiles aujourd’hui.

On s'est également penché sur la question du recyclage du coton, sans ajout de matière synthétique. Depuis 2 saisons, nous proposons ainsi de tissus de chemises en 100% coton, avec 60% de coton recyclé. On travaille à rendre ces tissus recyclés plus fin, avec un titrage plus élevé et donc plus luxueux, sans les rendre plus fragiles pour autant. Ce sont des initiatives que nous allons poursuivre et améliorer avec le temps, et en cette période encore plus, on espère que cela va inspirer les autres ateliers, clients et consommateurs !

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