Entretien avec Samy Ziani, co-fondateur de Hast

Entretien avec Samy Ziani, co-fondateur de Hast

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Alors que nous tournons avec joie la page des multiples confinements et couvre-feux, l’été apporte déjà son lot de challenges. Chez Hast, nous l’abordons avec sérénité. Mais nous souhaitions revenir sur cette crise du Covid et sur son impact sur le fonctionnement des marques de mode. La crise a chamboulé bien des logiques tant en termes de production que de vente ou de communication. C’est pourquoi Samy s’est prêté au jeu de l’interview. Il souhaitait prendre la parole, vous raconter comment nous traversons cette période, pourquoi nous avons agi comme nous l’avons fait. Et bien sûr, vous parler de la direction que nous prenons pour la suite.

 

Comment fonctionne la production chez Hast en temps normal ?

Nous fonctionnons sur un système en flux tendu. L’idée est de produire au plus proche de la demande pour éviter les surproductions. Pour ce faire, nous tentons de déterminer en amont les ventes futures, et nous réfléchissons nos collections en conséquence. Ce système permet notamment d’avoir toujours un stock adéquat et un excellent rapport qualité prix.

Chaque année nous adaptons en fonction de ce que nous considérons être les attentes de nos clients, mais aussi en fonction de nos espérances sur certains produits ou des analyses que nous avons pu faire de la saison précédente. L’idée est aussi de toujours garder un prix accessible.

Nous sommes conscients évidemment que nous pourrions vendre plus en fabriquant plus de stocks, mais nous tenons à maîtriser nos productions et à ne pas tomber dans le cercle vicieux de la promotion permanente et du déstockage massif de produits toujours moins qualitatifs.

Un autre point important est celui des intermédiaires. Chez Hast, nous travaillons sans retailers – revendeurs. Si vous voulez acheter nos produits, ce sera soit sur le site, soit dans nos boutiques en propre. La production est ainsi gérée plus facilement. Si nous avions des pré-commandes en amont, de grands magasins par exemple, nous devrions produire plus, au risque de récupérer la marchandise et de produire à perte.


Pourquoi ce fonctionnement est-il incompatible avec le principe même des soldes ?


Quand une marque produit en quantité raisonnée, et avec des marges faibles, les remises ont moins leur place. Chez Hast, nous appliquons un coefficient de marge compris entre 2 et 2,5 fois le coût de production. Une marque de mode traditionnelle tourne plutôt autour des 5, voire plus. Cela nous permet de proposer un prix qui nous parait juste pour le vêtement, mais nous donne aussi moins de marge de manœuvre. Si nous faisons des promotions, nous supprimons partiellement ou totalement cette marge, et on handicape notre capacité de développement future (moins d’argent sera disponible pour investir dans les collections suivantes par exemple). C’est aussi une question de principe, nous voulons permettre au client de s’acheter un produit Hast toute l’année et pas seulement au moment des soldes.

La stratégie de certaines marques, qui consiste à augmenter les marges et les prix pour ensuite faire croire au client qu’il est gagnant lors des soldes, ne nous plaît pas vraiment. Nous ne voulons pas dévaloriser nos produits en les vendant moins chers mais les offrir toujours au prix qu’ils valent vraiment. On ne va pas non plus tromper nos clients.

Il peut arriver que nous fassions des petites promotions (c'est ce qui va se produire pendant les soldes à venir, 10% de réduction à partir de 100€ d’achat). Cela est possible grâce aux économies d’échelle en logistique (quand nous envoyons plusieurs produits en même temps), cela nous permet de faire un peu de trésorerie, et ensuite de nous offrir une opportunité de remercier nos clients. Parce que notre fonctionnement même nous laisse peu de possibilités en termes de fidélisation.

Comment vous êtes-vous adaptés à la crise sanitaire et à la fermeture des boutiques ?

Notre fonctionnement a forcément été remis en question par la crise mais nous sommes fiers de dire que nous avons très bien résisté. Le fait de gérer notre entreprise sainement nous a permis de tenir le choc. Nous n'avons pas eu à faire de déstockages massifs – ce qui a été le cas pour beaucoup de marques - nos clients ont tous répondu présents.

Nous avions évalué un niveau de production lié de nos ventes de l’année précédente et de nos espérances de croissance. La fermeture des boutiques pendant plusieurs mois a forcément secoué un peu ces prévisions. Nous nous sommes retrouvés avec plus de stock sur certains produits et beaucoup moins sur d’autres (qui se vendent aussi bien en ligne qu’en boutique, en particulier notre gamme plus casual).

Une marque fonctionne généralement sur un modèle rationnel, et une crise est, par définition, irrationnelle. Nous avons donc été obligés de nous adapter. En favorisant par exemple la production des chemises formelles intemporelles qui se vendent tout au long de l’année (malgré le télétravail), au détriment des collections saisonnières. Celles-ci, si nous ne les vendons pas, sont vite inappropriées (Tissus inadaptés à la période par exemple).

Quels moyens envisagez-vous, à long terme, pour transformer le rapport du consommateur au vêtement ?

C’est un sujet qui nous tient à cœur depuis la création de la marque. Nous tentons d’expliquer les choses de manière pédagogique. Pourquoi nous utilisons telle ou telle matière ? Pourquoi utiliser des matières naturelles ou chercher un savoir-faire local est plus éthique ?

Depuis 8 ans maintenant, le rapport du consommateur au vêtement est un sujet que nous souhaitons traiter. Nous voulons parler d’entretien, prodiguer des conseils de style, expliquer comment récupérer des produits abîmés. C’est pourquoi nous avons développé plusieurs projets en simultané. Nous avons notamment fait de l’upcylcing et travaillé sur des packagings compostables domestiquement avec l’entreprise TIPA (nous sommes d'ailleurs fiers d'être la première marque de mode française à proposer cette alternative sur le marché).

L’industrie de la mode est souvent montrée du doigt pour ses dérives, mais c’est un secteur qui continuera toujours à exister puisque les gens auront toujours besoin de s’habiller. Nous faisons partie de cette génération de marques qui prennent conscience des erreurs du passé et qui souhaitent inscrire la mode dans une logique de durabilité et de responsabilité. Expliquer que l’on peut produire moins mais mieux. Et arrêter de pousser les gens à acheter des choses dont ils n’ont pas besoin.

Nous essayons aussi de donner des idées, surtout en cette période compliquée. C’est pourquoi nous avons calculé notre bilan carbonne rigoureusement, nous allons communiquer bientôt les résultats, nous tentons d’obtenir le label BCorp, nous augmentons la part de tissus certifiés bio… Nous espérons, et nous sommes assez optimistes, que la mode ira dans ce sens. Hasta la vista !

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