Entretien avec Matthieu Stefani, l'as du podcast !

Entretien avec Matthieu Stefani, l'as du podcast !

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La caméra s’allume, et d’un coup, le voici qui apparaît. Bonne mine, le regard de lynx, et des cheveux virant au gris qui n’ont l’air de ne jamais se décoiffer: Matthieu Stefani est en ligne. Dans le microcosme (qui n’en plus tout à fait un, à vrai dire) de la start-up à la française, l’homme est un genre de surdoué. Tout ce qu’il touche se transforme en or, on dirait: Citizen Side pour l’image puis CosaVostra pour le conseil et maintenant le fameux programme « Génération Do It Yourself » pour le podcast. Licorne à lui tout seul, il se raconte ici, pour Hast. En ayant pris la peine, pour l’occasion, de s’installer dans le studio d’enregistrement de ses bureaux, au milieu des micros et des câbles.

On dit de vous que vous êtes un « serial entrepreneur ». Vous ne semblez jamais rassasié, toujours prêt à dégainer une nouvelle idée de boîte. Alors, au fond, c’est quoi votre problème, Matthieu Stefani ?

Dans la vie, il y a des gens qui aiment leur zone de confort, quand les choses flottent. Moi, je ne sais pas faire ça. Je déteste quand ça patine. L’inertie, ce truc cotonneux, ça ne me convient pas du tout. Il faut que j’avance, quitte à me prendre des tartes dans la gueule, à rater. Je suis toujours en mouvement. J’associe plein d’idées, je les note quelque part, et puis je vois ce que j’en fais. Quand ça cogne très fort dans ma tête, il faut absolument que j’en fasse quelque chose. Je ne peux pas m’en empêcher. Je dois me lancer. C’est comme ça que j’ai démarré le projet « Villa Maria », par exemple, qui est un espace de bureaux collectifs à Bordeaux. J’avais fini de faire mes bureaux parisiens, et je voulais faire la même chose à Bordeaux. J’en ai parlé dans mon podcast. Quelque temps plus tard, un entrepreneur de la région qui était dans l’immobilier m’a contacté pour me dire qu’il voulait en être. On a acheté des bureaux ensemble, et la Villa Maria est née. Je suis toujours en train de lancer des trucs, entre les start-ups et l’immobilier.

Comment, d’après-vous, cette hyperactivité s’est elle forgée ?

Il y a quelque chose de ma mère là-dedans. Je l’aime, mais elle est hyperactive, justement. Avec elle, il n’y a jamais de repos, elle est toujours en train de vous sauter dessus, d’organiser une activité. Et puis, au fond de moi, sans être trop présomptueux non plus, je crois que j’ai envie de marquer le monde. Du moins, mon monde. Je veux lancer des histoires qui ont de l’impact, qui peuvent créer des emplois et rendre les gens heureux. Je suis enthousiaste, positif. C’est quand même terriblement excitant de vivre ce moment, dans cette époque. La tech, comme on dit, est en train d’exploser. J’aurais adoré vivre du temps où l’on a découvert la roue ou l’impression et la machine à vapeur. Ce sont des choses qui ont changé le monde. Mais ce qu’il a d’extraordinaire avec Internet c’est que, si l’on est un brin débrouillard, on peut faire ce que l’on veut. On peut emmener un projet à des niveaux dingues avec trois fois rien. Mon podcast, « Génération Do It Yourself », je l’ai démarré avec 400 euros de matériel - avec du matériel d’occasion, cela coûte même moins cher. Et aujourd’hui, il fait plus de 300 000 euros de chiffre d’affaires par an. Je m’y suis mis alors que j’avais déjà beaucoup de boulot, une femme, des enfants. Mais je me suis organisé. J’ai aménagé mon temps, et je continue à voir ma famille sans être débordé. Ce podcast, il a changé ma vie, je crois. Grâce à lui, je suis une meilleure personne, un meilleur patron, un meilleur mari et père. Vous savez, quand j’étais plus jeune, je rêvais de partir faire du surf à l’autre bout du monde. Avec des amis, j’ai essayé d’organiser des trips de ce genre, mais à chaque fois, on finissait dans les Landes, à Hossegor. Mes amis avaient toujours la flemme de prendre leur billet pour ailleurs. Et puis un jour, je leur ai fait à l’envers. Sans prévenir personne, j’ai réservé un voyage pour Bali. Évidemment, personne ne m’a suivi. Je me suis retrouvé tout seul. Moi, je ne suis pas un grand solitaire. Ce voyage ne m’angoissait pas, mais j’appréhendais quand même un peu. Mais à la fin, j’ai adoré. Je me suis rendu compte qu’il faut assumer d’être l’étincelle, celui qui se bouge. Si les autres ne se secouent pas, cela n’empêche rien. Il faut avancer.

Le premier véritable projet que vous avez lancé est Citizen Side, en 2005. Il s’agissait d’une sorte d’agence de presse participative qui permettait de diffuser des vidéos et des photos prises par des amateurs. Quelle est l’histoire derrière Citizenside ?

À cette époque, on ne pouvait se décréter producteur d’un coup, comme on le fait aujourd’hui. Surtout quand on voulait travailler dans le digital. C’était un terrain qui n’avait pas encore été défriché. Youtube n’existait pas. Je me suis alors retrouvé embauché chez Metro qui, en France, venait de lancer son quotidien gratuit. Mais au fond de moi, je voulais vraiment créer quelque chose. Et puis, je ne m’entendais pas du tout avec mes patrons de l’époque. J’avais du mal avec leur autorité. J’étais un électron libre, et ça ne leur plaisait pas. Dans mon coin, j’ai commencé à comprendre que les photos que l’on prenait avec nos smartphones allaient devenir comme une sorte de tsunami. J’ai fini par tout lâcher afin de lancer Citizen Side. Je n’y connaissais rien au digital, je n’avais jamais créé d’entreprise, mais tant pis, j’y suis allé. Deux ans plus tard, nous levions des fonds avec mes associés. En France, nous avons été les premiers à diffuser des images de Jérôme Kerviel, ce célèbre trader à cause de qui la Société Générale a perdu près de 50 milliards d’euros en 2007. Jusque-là, la presse n’avait à se mettre sous la dent que son badge de cantine de la banque. De notre côté, l’un des membres de Citizen Side nous a fait parvenir une vidéo de quelques minutes dans laquelle on pouvait voir Jerôme Kerviel en train d’être interrogé à la brigade financière. Ces images ont fait le tour du monde. Nous avons réussi également à obtenir une vidéo du célèbre créateur John Galliano pendant qu’il se laissait aller à des déclarations antisémites à la terrasse d’un café parisien. Ces images lui ont valu d’être débarqué de son poste chez Dior. Mais chez Citizen Side, nous ne faisions pas que du buzz. Nous avons mis à la disposition des grands médias énormément d’images des révolutions du Printemps arabe, par exemple. Tous les jours, des gens qui risquaient leur vie dans la rue nous envoyaient du contenu que l’on relayait pour eux. D’une certaine manière, on contribuait à changer le monde.

Vous avez quitté Cizen Side en 2011 et, peu de temps après, vous avez donc monté Cosa Vostra, une agence dont vous êtes toujours à la tête aujourd’hui. Quel est son concept, précisément ? Les choses semblent avoir changé au fil des années…

J’avais 30 ans, je savais créer des sites Internet, produire des choses et les distribuer. Je pouvais être une sorte de multinationale à moi tout seul, avec mon ordinateur. J’ai cherché des business à faire. Je me suis rendu compte qu’à chaque fois que je rencontrais des gens, on me demandait une carte de visite. La mienne était en métal, et les gens s’en souvenaient. J’ai donc décidé d’en faire un business. Dès que je les ai mises en ligne, j’ai eu des commandes. C’était fou. J’en vendais 500 à un euro pièce, par commande. Parfois, j’ai eu des commandes à 50 000 euros. Je me suis aussi lancé dans les bracelets en caoutchouc et les déguisements. Je recevais des commandes, je faisais produire et j’envoyais. C’était ça, CosaVostra. Mais bon, c’était chiant à mourir. J’ai eu quelques accrocs, aussi. Un jour, je me suis trompé sur les dimensions des cartes que je voulais faire faire pour mon beau-père. Je me suis retrouvé avec des cartes de quelques millimètres, comme lorsque dans La Vérité Si Je Mens 2, ils reçoivent des vêtements pour enfant. Quand j’ai dit à mon fournisseur qu’il s’était trompé, il m’a répondu qu’il n’avait fait que suivre mes instructions. Il avait raison… J’étais le seul responsable. Aujourd’hui, on ne fait plus ça du tout chez Cosa Vostra. Nous sommes un cabinet de conseil qui accompagne plusieurs clients, comme TF1 ou Google, pour les aider à mettre en œuvre leurs services en ligne. Tout récemment, nous venons de développer une plateforme pour un célèbre horloger suisse afin que ses clients puissent revendre facilement leurs vieilles montres.

Depuis quelques années maintenant, on vous connaît surtout parce que vous êtes le producteur et l’animateur du fameux podcast « Génération Do It Yourself », dans lequel vous vous entretenez avec des entrepreneurs de tous les genres. Le succès allant, vous êtes en train de devenir un média à part entière, vous ne trouvez pas ?

Je ne me suis pas dit que j’allais être un média. J’ai fait les choses de manière très naturelle, et en même temps pragmatique. J’ai acheté deux micros et j’ai dit à des gens que j’aimais que je voulais les interviewer pour les connaître, pour apprendre quelque chose d’eux. Les premiers épisodes se sont déroulés sur une table, dans un coin des bureaux de Cosa Vostra. Aujourd’hui, nous disposons d’une sorte de studio, avec du bon matériel et des panneaux isophoniques au plafond. Mais cela reste très artisanal. Je fais peu de montage. J’ai une approche très directe, simple, dans les conditions du direct. Récemment, nous avons lancé Orso Média qui est un label pour podcasteurs. Nous les aidons à développer leurs projets et, surtout à les monétiser, comme ce que font Cyprien et Squeezie avec Talent Web, par exemple, pour les Youtubeurs. Pendant longtemps, j’ai rêvé d’être un nomade digital. Je voulais travailler depuis n’importe où, sur la route, avec mon ordinateur et c’est tout. Je me suis un peu planté là-dessus. Aujourd’hui, pour faire de bons podcasts, je dois être dans un bureau. Surtout, je suis un chef d’équipe, je travaille avec des gens, et j’aime ça. Chez Cosa Vostra, je suis un sédentaire. En fin de compte, je n’ai pas envie d’être tout seul. Je serais malheureux, sinon. À part quand on est ermite, c’est dur d’être seul. Je dis ça parce que tout ce que je fais, en fait, c’est pour être heureux, bien dans mes pompes. Il n’y a que ça qui compte.