Entretien avec François-Xavier Trancart, co-fondateur d'Artsper

Entretien avec François-Xavier Trancart, co-fondateur d'Artsper

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Si vous aimez l’art contemporain, vous aurez probablement entendu parler d’Artsper, le site français de vente d’œuvres d’art en ligne. Depuis quelques années, cette start-up parisienne révolutionne les manières d’acheter de l’art, longtemps limitées à l’achat physique, en galeries. Depuis 2013, Artpser secoue donc le monde de l’art en le rendant accessible à tous.

Et comme cette semaine marque à Paris le début de la célèbre FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain), grand rassemblement de l’art, il nous a paru intéressant de discuter avec François-Xavier Trancart, cofondateur d’Arstper. L’occasion d’aborder la success story de cette plateforme, mais aussi, et surtout, de réfléchir aux enjeux liés à la digitalisation du marché de l’art.

 

 

 

 

Quelle est la genèse d’Artsper ?

Mon associé et moi ne venons pas du tout du monde de l’art, mais nous étions ce que nous pourrions appeler des amateurs d’art non-initiés. J’allais souvent voir de grandes expositions, mais n’ayant pas fait de cours l'histoire de l’art, je me sentais parfois mal à l’aise dans les galeries.

Il y avait également un constat fondateur : beaucoup de gens de notre entourage des amis de nos parents notamment, n’avaient souvent pas d’art chez eux alors qu'ils en avaient les moyens. Pourquoi n’en achetaient-ils jamais alors qu’ils allaient fréquemment à des expositions ? Nous nous sommes vite rendu compte que le marché de l’art classique ne s’adressait tout simplement pas à eux.

Il existe déjà une discrimination d’un point de vue géographique, liée à la centralisation française : la plupart des galeries sont situées en région parisienne. Sans être dans une grande ville, il est vraiment plus difficile d’avoir accès au marché de l’art.

L’idée d’Artsper n’était donc pas de cannibaliser le travail des galeries, mais plutôt de travailler avec elles pour toucher un public nouveau. Il n’a pas été simple de les faire venir au digital car le monde de l’art est un milieu au départ assez réticent à ce fonctionnement plus « commercial ». Mais petit-à-petit, il en vient à changer et à sortir de son conservatisme. Il est aujourd’hui fréquent de voir les prix des œuvres affichés sur les foires, ce qui aurait été impensable il y a encore quelques années.

En 2012, 2013, nous cherchions donc des sites où acheter de l’art en ligne, et avons fait le constat qu’il en existait très peu. Et comme nous étions persuadés de l’existence d’une certaine barrière psychologique, ou sociale face à l’achat d’art, nous avons lancé Artsper.

 

 

Comment faire pour contourner le rapport sensible à l’œuvre, qui est particulièrement fort avec l’art, notamment en peinture ?

C’était une vraie question de départ. Moi-même j’aurais pu être un peu hésitant à l’idée d’acheter en ligne. Mais en réalité, nous nous sommes rapidement rendu compte que ce n’était vraiment pas un problème. La plupart des gens achètent soit parce qu’ils connaissent déjà l’artiste en amont, soit parce qu’ils ont un coup de cœur. Il est très rare qu’ils soient déçus une fois l’œuvre face à eux.

 

 

D’ailleurs, nous avons noté que pour quasiment la moitié des personnes qui font un premier achat sur Artpser, il s’agit en réalité de leur premier achat d’art tout court. Il arrive qu’ils aillent en galeries, et rentrent tranquillement acheter sur Artsper, depuis leur canapé. Il y a un facteur pression qui est supprimé dans l’achat en ligne.

Nous avons bien sûr développé une politique de retour très performante, les acheteurs ont 14 jours pour nous retourner les œuvres en cas d’insatisfaction. Mais en réalité, après un coup de cœur en ligne, il est rare qu’un client soit déçu en la recevant, avec l’effet « wahou » du physique. D’ailleurs, c'est pareil quand je découvre un artiste sur Instagram, il est rare que je sois surpris en voyant les œuvres en vrai.

 

 

Très peu de retours, donc, ce qui est assez rare dans la vente en ligne.

Nous touchons un public finalement assez aisé. Pour tout dire, au départ, nous avions plafonné les œuvres à 5000 euros. Nous pensions réellement que personnes n’achèterait plus cher en ligne... Une des premières œuvres que nous avons vendu à quelqu’un d’autre que nos parents était une toile à 4900 euros ! En réalité, de nombreuses personnes ne se posent pas de question et achètent comme toi et moi pourrais craquer sur une paire de chaussures à 150 euros... C’est dur, mais c’est vrai ! Et c’est sur ces gens-là que nous avons le moins de problèmes d’échecs de paiement. De nombreuses personnes également passent plutôt par Artsper pour les assurances que nous proposons. On ne peut pas dire que les marchands d’art soient les plus grands businessmen parfois. J’ai le souvenir d’une commande, où le marchand avait emballé une œuvre à 10000 euros dans un carton fermé avec du scotch. Avec Artsper, tout est facile, on a une tonne d’assurance, de certificats.

Même certains collectionneurs passent aujourd’hui par nous, car ils savent qu’ils vont être livrés dans les temps. Il y a un côté rassurant.

 

 

 

 

Est-ce que l’on peut négocier sur votre site, comme dans une galerie d’art ?

Oui, mais finalement il s'agit d'un type d’acheteurs qui ne cherchent pas particulièrement à économiser. Notre segment, c’est la vente d’œuvres entre 1000 et 20 000 euros. En revanche les attentions un peu « luxe », comme l’organisation d’expositions privées ou l’ajout du livre de l’artiste dans le paquet, sont fortement appréciés. On touche une cible assez proche de celle de Farfetch ou Vestiaire Collective, où les clients peuvent dépenser des sommes astronomiques d’un coup. C’est assez fascinant.

 

 

C’est une vraie question de comprendre comment vendre ce type de biens en ligne. Le digital remet beaucoup de modes de fonctionnement en question, notamment dans les mondes de l’art ou de la mode.

 

 

Oui le monde du luxe est toujours un peu en avance par rapport au monde de l’art. Vestiaire ou Farfetch se sont posés la question de comment vendre un sac Chanel sans l’expertise en boutique, avant que nous nous posions la même question pour l’art en ligne. Il y a aussi une question de fond aussi au sens plus large. Qu’ils s’agissent des fashion week, ou des foires d’art contemporain. Le digital peut permettre de remplacer dans une certaine mesure les successives foires. Il y a aujourd’hui beaucoup de foires d’art, Art Basel, Miami, la FIAC, les foires asiatiques .. C’est une succession de salons lors desquels les mêmes artistes sont présentés par les mêmes galeries. Sur le plan écologique c’est une catastrophe. Je ne dis pas que je voudrais tout remplacer par du digital, j’adore aussi les foires et le physique est irremplaçable, notamment pour de nombreuses galeries ou espaces qui attendent ces évènements pour louer leurs espaces. Mais les grosses machines de guerre qui présentent les mêmes galeries tous les mois, c’est une sorte de « fast-art », pour lequel le digital peut offrir une alternative.

La crise du covid a aussi bien changé les choses. Les galeries d’art fonctionnaient encore sur un modèle assez ancien, mais pendant le covid, la vente en ligne a permis à nombres d’entre elles de s’en sortir. Il n’y avait plus de foires, plus d’expositions, et la plupart des galeries n’avaient pas de module e-shop…

 

 

Et toi, tu portes quoi pour aller – quand même - dans une foire d’art contemporain ?

Quand tu arrives dans les foires les gens sont toujours en costard. Moi, je suis plutôt chemise en jean, ou chemise en velours ouverte sur un tee-shirt en hiver. Toujours chemise en tout cas, je n’aime pas trop l’idée d’être tiré à quatre épingles. On reste une start-up et en plus, je n’ai pas envie de me prendre au sérieux. C’est rare que je porte une chemise classique comme aujourd’hui, mais ce soir, j’ai un évènement … « costume » obligatoire, donc pas le choix !